Asile / recomposition de l’exil et du temps qui reste.
ASILE est une installation multimédia qui met en scène ma famille et qui l’implique dans la fabrication d’un récit collectif – mon père, ma mère, mon compagnon, mon fils. Autour de faits réels, nous recomposons des micro-récits pour parler d’exil, de transmission, de ce qui lie les individus de génération en génération.
Ecrire une fiction c’est peut-être mesurer la distance, et « en mesurant la distance », comme l’écrit Raymond Williams, « on met fin à l’exil. »
Je m’appelle Anne-Cécile Paredes, je suis auteure et photographe franco-péruvienne. Je suis arrivée en France en 1984. J’ai été « asilée », fuyant une guerre civile qui se déroula de 1980 à 2000. Mon père péruvien et ma mère française étaient des militants d’extrême gauche. En 1984, ma mère quitta mon père et pris la décision de rentrer en France. J’ai perdu ma langue, ma famille, une partie de mon histoire s’est enterrée le jour où nous avons pris l’avion. Ma mère ne m’a rien dit. Depuis, le silence fait partie intégrante des processus de création que j’invente. J’imagine des protocoles, je récolte des récits que je mets en scène, en texte, en son et en images. Mon travail est pluridisciplinaire et commence son chemin par l’image, je suis avant tout photographe. Des images que je malmène, que je combine, que je surexpose, des images parfois altérées, en pellicule et en numérique pour brouiller les temporalités, les géographies. Ce qui m’intéresse c’est l’universalité du temps qui passe, du temps qui reste.
Asile existe depuis 2011 au travers d’actes et d’expériences plastiques que je réalise comme des rituels sur une île au Pérou qui fut une prison et où mon père fut incarcéré durant quatre années de 1970 à 1974. Cette île s’appelle l’île du Fronton. Le 18 juin 1986 les prisonniers membres du Sentier Lumineux se soulevèrent et le gouvernement péruvien bombarda l’île en toute illégalité. Il sont tous morts. 118 victimes.
En 2011, j’ai décidé de poser mes pas sur cette terre. Je tenais absolument à voir le lieu où mon père avait été détenu. Cette prison représentait à la fois le symbole de la guerre civile qui avait entraîné mon exil et le potentiel réceptacle d’une poétique du deuil que j’allais mettre en scène. Je décidai donc de réaliser une série de rituels qui allaient bientôt impliquer toute ma famille. J’y retourne depuis 7 ans maintenant accompagnée de mon compagnon musicien, Johann Mazé, auteur et compositeur des créations sonore d’Asile. A chaque voyage nous trouvons des pêcheurs qui acceptent de nous y amener clandestinement. A chaque nouveau chemin nous récoltons des fragments de fiction qui composent Asile.
Asile nous raconte la distance parcourue par une famille pour se recomposer. Tout contre les armes de l’Histoire, chacun fait comme il peut pour redessiner les contours d’une contrée de soi même. Ils ne parlent plus la même langue, n’habitent plus le même continent, leurs chemins se croisent, s’entremêlement, se combattent. Une famille comme une autre.
« Il parlait tout seul. Il se parlait en français. Il parlait pour celui qui ne savait plus parler sa langue. Il rêvait en français car il était celui qui rêvait pour celui qui ne pouvait plus rêver dans sa langue. » Wajdi Mouawad
ASILE / Les protagonistes : la mère, le père, la fille, l’enfant. Les artistes : Anne-Cécile Paredes (la fille) et Johann Mazé (le compagnon)
–Le temps qui reste : série de 15 photographies des ruines du Fronton et du cimetière où furent retrouvés une partie des corps des prisonniers. Elle est associée à une pièce sonore de 13’35 réalisée par Johann Mazé. Quel est la place du micro-récit dans la grande Histoire ? Voix : le père, la fille, l’enfant.
PIECE SONORE : LE TEMPS QUI RESTE :
https://jhnnmz.bandcamp.com/track/asile-le-temps-quil-reste-2
–A vrai dire : installation vidéo. A partir d’une même série de questions, la mère puis la fille répondent. Se glisse petit à petit la fiction, la déformation du récit familial, le parcours effectué par l’une et par l’autre pour composer cette histoire partagée. Elles ne sont plus arrivées le même jour en France, elle n’ont plus les mêmes mots, la même distance… « A vrai dire » est en cours de montage. Vous trouverez un extrait du résultat final, et la totalité des rushs des entretiens. Ce montage sera terminé pour février 2019.

–Archéologie de l’exil. Dyptique. Nature morte des deux objets ramenés par la fille lors de son arrivée en France. Un petit sac en cuir et un mouchoir en papier. Elle les a toujours gardé.
–Transmission. Portraits de la mère et de la fille en 16mm enterrés durant trois ans sur l’île du Fronton, puis à nouveau numérisés.

–La position du mort. Film super 8, sur le trajet vers l’île du Fronton.
– Poétique du deuil.Trace de performance. La fille s’allonge face contre terre sur une tombe anonyme dans le cimetière où furent retrouvés les corps des prisonniers abattus lors du bombardement du Fronton.
